Internet et le cloisonnement de la pensée

Depuis l’élection de Trump, il y a eu une espèce de prise de conscience du caractère nuisible de l’expérience utilisateur dite « personnalisée ».

Profiling, pour vous servir

Je me souviens de mes débuts sur Internet, utilisant divers moteurs de recherche (Alta Vista, Lycos, Yahoo!) qui avaient chacun leurs forces et faiblesses et qui étaient neutres : la même recherche faite par différentes personnes donnait les mêmes résultats. Même aux débuts de Google, c’était le cas. On parlait de classement Google de manière légitime, c’était la même liste de résultats pour tout le monde !

Puis Google a grossi et a commencé à optimiser sa source de revenus : la publicité. Afficher une pub pour des billets d’avion alors que le chaland n’a pas l’intention de partir sous peu a moins de chance d’attirer son clic que si ce même chaland est en train de faire des recherches pour planifier ses vacances. Il a fallu alors analyser l’historique des recherches de chacun pour pouvoir afficher la publicité la plus pertinente possible : c’est ce qu’on appelle le profiling.

Puis est venue l’idée de se servir de ce profiling pour personnaliser les résultats. Le but premier est d’augmenter leur niveau de pertinence : si on cherche « arbre » et qu’on est développeur, il y a des chances qu’on cherche des infos sur les algorithmes portant sur les structures informatiques appelées « arbres » et non pas des informations sur les végétaux… mais si, ceux avec des feuilles qui tombent en automne. En s’appuyant sur nos recherches passées, Google est capable de savoir ce qui est susceptible de nous intéresser.

Profiling, pour vous desservir

Louable en soi, cette personnalisation finit par se retourner contre nous, individuellement, et par effet de masse critique elle a fini par avoir un impact considérable sur notre société.

J’exagère ? Regardez donc la situation actuelle : on parle de bipolarisation du monde, de « echo chambers », de sites de « réinformation »… À mes yeux, tout ça, c’est en grande partie à cause de ce profiling qui a été utilisé à outrance.

Sur Google d’abord, une même recherche ne donne plus les mêmes résultats ; sur Facebook ensuite, ce que vous voyez dans le flux est le résultat d’un algorithme qui ne montre que ce qu’il juge « important pour vous » ; enfin sur Twitter, son « Pendant votre absence » fait la même chose.

À force de se faire dicter ce qu’il faut voir par un algorithme, on finit par s’enfermer dans une bulle d’informations qui ne traiteront que des domaines qui nous intéressent et, pire encore, qui ne nous présenteront que des idées qui iront dans le même sens que les nôtres. Adieu idées nouvelles et points de vue différents, nous laissant nous enfoncer dans une uniformité intellectuelle qui va définir ce qu’est la « normalité » et qui fait qu’on réagit si violemment quand on se retrouve confronté à une opinion différente de la nôtre, à la « normalité » de quelqu’un d’autre.

Bref, c’est la disparition de l’ouverture d’esprit…

Se réapproprier son flux d’informations

Pourtant, il existe des moyens pour se libérer des algorithmes et décider à nouveau ce qu’on veut lire.

Moteur de recherche

Le premier pas est de changer de moteur de recherche en optant pour un qui ne traque pas ses utilisateurs et qui livre des résultats neutres. Personnellement, j’aime bien DuckDuckGo, mais on peut aussi citer l’initiative européenne Qwant, qui me semble pas mal du tout, mais dont l’affichage de base est un peu chargé à mon goût (il existe une version lite).

Facebook

Bon, si on pouvait arrêter de l’utiliser, ce serait le top, mais je ne me berce pas d’illusions. En attendant une prise de conscience généralisée, passez donc le flux du mode « à la une » au mode « le plus récent » en cliquant sur les « … » à côté de « Flux d’actualité » et en choisissant l’option. Attention, parfois ça se reset tout seul, mais quand vous êtes dans ce mode, il y a un petit en-tête qui vous prévient que c’est le mode « plus récent » qui est activé.

Twitter

Pour Twitter, je passe par Tweetdeck, qui n’a pas cette fonctionnalité de « pendant votre absence » et qui permet une gestion avancée des listes.

RSS

Si vous ne savez pas ce qu’est un flux RSS, c’est un canal présent sur beaucoup de sites et qui peut être enregistré dans un agrégateur pour avoir toutes les sorties d’articles dedans.

Pour éviter de dépendre du partage des autres et surtout éviter les sites conspirationnistes que je vois encore trop souvent, je choisis mes sources moi-même, les plus neutres possible, et je m’abonne à leur flux RSS pour être averti des nouvelles parutions.

J’utilise Inoreader comme agrégateur, mais il existe aussi Feedly qui est bien coté ou encore des applications pour le PC ou le mobile.

Hoaxbuster et Decodex

Avant de s’offusquer et de partager en masse en l’espace de 2 clics, vérifiez la véracité des informations. Hoaxbuster et le Decodex sont de bons outils pour démêler le vrai du faux. Mais restez critique sur leurs analyses.

Prendre du recul

Enfin, je crois que c’est la clé pour ne plus se faire dicter quoi lire ou penser : prenez du recul et récupérez de l’ouverture d’esprit. Arrêter de croire que le monde est blanc ou noir, arrêtez de parler avec un ton condescendant sur des sujets dont votre seule connaissance vient d’un article de 20 Minutes ou, pire, de la télé. Arrêtez le « yakafokon », le monde est bien plus complexe et nuancé que ça.

Soyez humble. Soyez pas con.