Une catastrophe annoncée
Le 15 Janvier 2020, Mozilla a annoncé le licenciement de 70 personnes, en attendant des jours meilleurs financièrement. J’ai pu lire ici et là divers commentaires sur la nouvelle et on n’échappe pas à ceux qui pensent mieux savoir que tout le monde en y allant de son trait d’humour sarcastique comme quoi Firefox est déjà mort, qu’il aurait peut être fallu réfléchir avant de dépenser une fortune dans de nouveaux logos ou que sais-je. Mais pour ma part, je me fiche pas mal des raisons qui ont mené à ce triste évènement. C’est plutôt les conséquences que cela risque d’avoir sur l’avenir d’Internet qui m’inquiètent.
Un énième rappel des faits
Les gens ne s’en souviennent pas, soit parce qu’ils étaient trop jeunes, soit parce que le peuple a la mémoire courte en général, mais c’est grâce à Mozilla que l’on a pu voir le développement d’Internet tel qu’il est aujourd’hui. Sans l’avènement de Firefox, on aurait toujours Internet Explorer 6 comme navigateur dominant et on s’appuierait toujours sur Flash pour avoir du contenu riche (et les failles de sécurité gigantesques qui vont avec).
Alors avant de se moquer ou de dénigrer Firefox pour des choses qui sont souvent les reliques du passé (la vitesse ou l’occupation mémoire en tête, Firefox faisant aussi bien que Chrome depuis un bon bout de temps), il faut respecter l’accomplissement que fût de déboulonner un navigateur qui s’était vissé en situation de monopole grâce à des pratiques anti-concurrentielles.
La situation actuelle
On avait jusqu’à peu quatre principaux moteur de rendu Web :
- Gecko, par Mozilla, utilisé dans Firefox
- Blink, par Google, utilisé dans Chrome, Opera, Brave et d’autres
- WebKit, par Apple, utilisé par Safari, et d’autres navigateur « annecdotiques »
- Edge, par Microsoft, utilisé par MS Edge
Ce dernier a eu une courte vie et Microsoft a finalement décidé de laisser tomber son moteur maison pour adopter Blink aussi.
Le truc, c’est que du coup sur le desktop, il ne nous reste que, grosso modo , deux moteurs de rendu, vu que WebKit est principalement cantonné à MacOS. L’un utilisé par non seulement Chrome, qui a la plus grosse présence, mais également par une ribambelle d’autres navigateurs. On arrive à une masse critique de Blink qui risque de causer la disparition de Gecko si on n’y prends pas garde. J’ai beau encourager l’adoption de Firefox, je vois que les gens croient toujours qu’il est lent et gourmand en mémoire. Ou bien que Chrome est juste plus simple puisque préinstallé sur Android (ça s’appelle un abus de position dominante, mais ce n’est pas le sujet).
Je vous aurais prévenu
On assiste déjà à un retour en force de l’IE6 syndrome même dans des projets Open Source : Jitsi, qui disait clairement en 2020 qu’ils supportent moins bien Firefox et qu’ils travailleront dessus « un jour » (ce n’est plus vrai depuis 2021, mais j’ai écrit cet article en 2020. Et je suis sûr que d’autres site/webapp recommandent Chrome, l’exemple tiens donc toujours je pense). J’ai parfois des sites qui me jettent une popup à la figure pour me dire qu’ils sont « optimisé pour Chrome » qui me rappelle furieusement les « sites optimisés pour IE6 » de la sombre ère du monopole.
Qu’est-ce que ça va être quand Firefox sera une espèce éteinte sur le web ? C’est assez simple, on aura de nouveau une stagnation de l’innovation sur Internet car c’est ce qui arrive quand on est dans une situation de monopole, quelque soit le domaine : pourquoi faire des efforts d’innovation quand on est les seuls maîtres à bord ?
Que faire pour encourager l’innovation ?
Ce qu’il y a faire pour conserver l’innovation sur le web est très simple. On peut bien sûr donner de l’argent à la Fondation Mozilla, qui vivent de dons et de partenariats vu que les utilisateurs ne paient pas le produit et qu’ils ne vendent pas votre vie privée à des annonceurs. En effet, même les liens sponsorisés affichés sur la page de nouvel onglet ne se sert pas de vos habitudes de surf.
Mais encore plus important que le financement par des particuliers, c’est de leur donner de la visibilité, de la présence et des parts de marché : utilisez Firefox. Ça ne coûte pas d’argent et pour peu que vous ne soyez pas borné, vous ne verrez pas de différences majeures avec Chrome : un navigateur reste un navigateur. Les performances de Firefox n’ont rien à envier à Chrome de nos jours, que ce soit sur le plan de la vitesse ou de la consommation mémoire. Sur Android, on peut aussi envoyer les onglets vers de desktop ou en recevoir pour continuer une lecture dans les transports.
Avec de la visibilité, Mozilla pourra négocier des partenariats qui injecteront bien plus d’argent que les dons par des particuliers.
Si vous accordez de l’importance pour l’innovation et/ou vôtre vie privée, utilisez Firefox et faites en la promotion. Utiliser Chrome, c’est faire une croix sur le futur d’Internet à moyen terme, et sur nôtre vie privée à long terme…